« Je ne veux pas en parler... » « Alors, pourquoi êtes-vous ici? » Je haussais les épaules, détournant la tête et me trémoussant légèrement sur mon siège. « Parce que ma mère tient à ce que je fasse ces séances. » « Et pourquoi votre mère tient-elle à ce que vous veniez me voir? » « Parce que mon état est le résultat de ses choix. » Je regardais le médecin hausser un sourcil surpris et gribouiller rapidement quelque chose sur son calepin. Je détestais ça. Ce sentiment d'être analysée dans les moindres détails. Ma vie n'est pas intéressante, je n'ai rien d'extraordinaire. Je suis juste un peu déprimée, ces temps-ci. Mais après tout, avec un monde à l'agonie, comment ne pas l'être? Malheureusement pour moi, je venais de lâcher la bombe qui prolongerait mes séances pour quelques mois de plus. Le silence s'installa. Pesant, désagréable, énervant. Mais j'étais têtue. Je ne parlerai pas la première. Le psychologue braqua son regard inquisiteur sur moi. Rêve toujours mon vieux, tu vas pouvoir attendre longtemps. Je ne céderai pas. Cinq minutes plus tard, il s'éclaircit la voix. J'eus un sourire victorieux. « Pourriez-vous me décrire la relation que vous entretenez avec votre mère? » Je pourrai. Mais est-ce que j'en ai vraiment envie? J'hésitais un instant. Pourquoi ne pas parler? Secret professionnel oblige, j'étais certaine que mes propos ne sortiraient pas d'ici. Non... En fait, je me fichais de savoir si ma chère maman connaitrait un jour ou non ce je m'apprêtais à dire. Parce qu'après tout, elle l'a cherché. Dans tes dents, maman! « Vous voulez que je parle? Alors, parlons... » Je me levais d'un bond, et commença une série d'aller-retours dans la petite pièce surchargée de meubles anciens. « Ma mère... Comment dire? C'est une égoïste. Une manipulatrice. Une vraie garce. Mais je l'aime. Parce que c'est ma mère, justement. Parce qu'elle a préféré mettre un terme à sa carrière d'avocate pour m'élever. Parce qu'elle m'a toujours protégé des moindres dangers, parce qu'elle a fait en sorte que je ne manque de rien, malgré notre environnement actuel. Je lui ressemble, vous savez? Peut-être beaucoup trop. C'est ce qui rend nos relations si compliquées. Surtout depuis que j'ai ''commencé ma crise d'adolescence'', comme elle le dit si bien. Mais elle ne veut rien comprendre. J'ai dix-huit ans, je suis majeure et je ne suis plus une enfant. Elle ne veut pas laisser grandir. Elle veut que je reste avec elle toute ma vie, que je sois à sa disposition pour le reste de mes jours. Mais je ne suis pas d'accord. Je veux vivre. Je veux partir. Los Angeles ne me convient pas. Trop gris, trop sombre, trop... trop pollué. Mais j'imagine que le reste du monde ressemble à cette ville. Alors partir où? Je ne veux pas rester. Je ne peux pas rester... » Je m'arrêtais brusquement, me tournant vers le docteur. Qui me regardait avec une expression de surprise plus ou moins comique. Quoi? Il avait voulu que je parle, non? Bah voilà, j'ai parlé... Je lâchais un discret soupire, passant une main dans ma tignasse blonde avant de me laisser tomber sur la chaise que j'occupais quelques minutes plus tôt. « So, what's up Doc? » J'eus un sourire ironique tandis qu'il reprenait ses esprits.« Et votre père? » Mon sourire disparu. Voilà enfin, le vrai problème. Mon père. « Je ne veux pas en parler... » Argument invalide. Il va falloir trouver autre chose, ma fille. « Quelles sont vos relations avec votre père? » Je croise les bras, m'enfonçant un peu plus dans mon siège, le visage figé dans une expression qui n'amène pas à la discussion. JE.NE.VEUX.PAS.EN.PARLER. Et puis c'est tout. Il m'encourage du regard. Je suis faible. Je soupire, ramène mes jambes contre moi. Tant pis pour le fauteuil et les traces de chaussure que je vais y laisser. Le médecin ne bronche pas. De toute façon, je n'aurai pas bougé. « Il est parti. J'avais dix ans. Mon frère en avait douze. Il l'a emmené avec lui. Ma mère n'a jamais voulu me dire la raison de ce départ. J'ai mené mes propres recherches mais c'est comme s'ils avaient disparu de la surface de la Terre... Peut-être qu'ils sont morts? Peut-être qu'ils ont simplement changé d'identité. Je n'ai jamais retrouvé leurs traces. Dorian me manque... » Je me laissais un tête-à-tête de deux minutes avec ma mélancolie et mes souvenirs d'enfance. Enfin, je revenais à la réalité. Je braquais un regard énervé sur mon psy. « Est-ce que je pourrais arrêter de parler de ma vie, maintenant? Comment, ça va, vous? » Je lui adressais un sourire éblouissant, me redressant vivement. Il me regarda, et semblant penser que j'étais définitivement folle. « Quel métier voulez-vous exercer, plus tard? » « Épouser un milliardaire, l'assassiner après quelques mois de mariage et hériter de sa fortune... » Ahah... « Mademoiselle Fletcher... » Son ton légèrement menaçant m'arracha un gloussement amusé. « Appelez-moi Ali, Doc... Hum... Je ne sais pas trop... Les études, ce n'est pas trop mon truc. Je m'en sors, c'est tout. Les profs disent que j'ai les capacités pour réussir mais que je ne fais aucun effort. En même temps, s'ils rendaient leurs cours un peu plus intéressants... » « J'ai vu dans votre dossier que votre quotient intellectuel est particulièrement élevé. Vous ne voulez pas l'avouer mais vous êtes un petit génie. Vous pourriez faire de grandes choses... » LOL... Okay, je suis intelligente malgré que je sois blonde mais dire que je suis un génie, franchement, je trouve ça exagéré. Okay, j'adore les maths, j'adore passer mes soirées à lire des bouquins ou rester affaler dans mon canapé à regarder des documentaires à la télé, le Dimanche après-midi. Mais ça n'a rien à voir avec l'intelligence. C'est juste que je trouve ça intéressant. Et amusant. Mais voilà. C'est tout. Je ne suis pas intelligente. Je suis même carrément une idiote têtue et capricieuse « Parce que je sais me connais le nom de la plupart des dinosaures, je devrais devenir paléontologue? Ou parce que j'adore collectionner des cailloux, je devrais devenir géologue? Dans ce cas, puisque j'adore écouter de la musique, peut-être que je peux devenir rockstar? Ou cinéaste! J'aime vraiment beaucoup le cinéma. Pourquoi je ne pourrais pas devenir aventurière? Je cours plutôt vite, j'ai une bonne condition physique et je n'ai pas peur de dormir à la belle étoile, même si c'est une pratique à éviter de nos jours, surtout si l'on tient à sa vie. Vous en pensez quoi, Doc? » « Ce n'est pas à moi de décider de votre avenir... » « Si j'avais juste besoin de parler, juste pour le simple fait d'entendre ma gracieuse voix, j'aurais très bien pu me rendre à l'église et discuter avec un quelconque homme de foi. Mais je crois savoir que ma chère môman vous paie suffisamment cher pour que je puisse obtenir un petit avis de votre part. Ne vous inquiétez pas, ce que vous allez me dire ne changera strictement rien à mon avenir. Mais j'aime tellement votre voix et votre accent étrange que je prends beaucoup de plaisir à vous entendre parler. Et puis, une conversation toute seule, ce n'est plus réellement une conversation. Et ce n'est vraiment pas drôle de parler toute seule... » J'affichais une mine innocente, genre, j'ai totalement raison alors maintenant, parle vieil homme. « Je... Hum... Eh bien, pourquoi ne pas faire quelque chose que vous aimez vraiment? Qu'est-ce qui vous intéresse le plus, vous passionne? » Je gardais le silence. Depuis l'âge de huit ans, je passais tous mes Mercredi après-midi au musée. A flâner parmi les époques. Ma préférée était celle du Crétacé. Les dinosaures m'avaient toujours passionnée. Comment des créatures aussi énormes avaient-elles pu disparaître complétement de la surface de la Terre? Enfin, si, je savais. Plus ou moins. L'hypothèse de la météorite ne reste qu'une hypothèse, justement, quoi qu'en dise la plupart des scientifiques. Je connaissais déjà beaucoup de choses à propos de cette époque. Pourquoi ne pas devenir... Chercheuse? Paléontologue? Oui, c'est ça. La paléontologie. Je pourrai peut-être trouvé un job sympa dans un musée? Je me demande si ça paie bien, comme boulot... « Je pense que j'ai trouvé... Merci pour votre aide, Doc! A la prochaine! » Je me levais d'un bond, le salua à la façon d'un militaire et je sortis en trombe du bureau, sans lui laisser le temps de réagir. Enfin, si, je l'entendis crier mon prénom lorsque j'atteignis enfin l'ascenseur...

« Terra Nova? » Je hochais la tête, encore sous le choc de la nouvelle. Je ne comprenais toujours pas comment j'avais pu être sélectionnée. D'accord, je réussissais plutôt bien mes études en paléontologie – mieux que je ne l'aurais espéré d'ailleurs – mais je ne connaissais personne qui ai pu me conseiller aux big boss du Nouveau Monde. Pourquoi moi? Après tout, je n'étais pas la seule spécialiste au monde. Je jetais un regard inquiet à ma mère. Son visage, déjà pâle d'ordinaire, était maintenant d'une blancheur inquiétante. « Maman? Est-ce que ça va? » Elle s'appuya contre la table de la cuisine en hochant doucement la tête, les yeux dans le vague. « J'ai quelque chose à t'annoncer, Aliénor. » J'attendis anxieusement qu'elle reprenne la parole. Son attitude était étrange depuis plusieurs mois. Notre relation s'était apaisée mais je la sentait s'éloigner de moi. « Je vais mourir. » « Comme nous tous. » « Ne fais pas l'idiote, Ali. J'ai un cancer. Il ne me reste que trois mois. »

Ça fait un mal de chien. La tête qui tourne, les murs de la pièce qui se mettent à bouger, des larmes acides qui apparaissent au coin de tes yeux et te voilà sur le carrelage froid de la cuisine, la voix de ta mère qui t'appelle désespérément. N'a jamais-tu dis que tu la détestais? Non, jamais. Tu l'aimes trop pour ça, malgré vos disputes et autres petits soucis. Car c'est ta mère. Ta petite maman adorée. Et elle va mourir. Bientôt. Vas-y, souffre Blondie. Tu t'en sentiras encore plus vivante.

Trois mois. J'ai demandé un délai de trois mois. Le temps de régler les détails et de rester avec elle, jusqu'à la fin. Je ne veux pas qu'elle parte seule. Pas après tout ce qu'elle a fait pour moi. Ils m'ont accordé mon délai. Et elle est partie. Il ne me reste plus qu'à faire mes bagages pour cette nouvelle époque. Cette nouvelle vie. Comme c'est étrange... Il paraît qu'on peut voir le soleil, là-bas. Je ne suis pas certaine de l'avoir déjà vu. Peut-être lorsque j'étais enfant? Je ne me souviens pas. Malgré la douleur poignante du deuil, il y a cette sensation qui paraît tellement déplacée. L'impatience. Celle d'une nouvelle vie, d'un nouveau monde. Et peut-être la chance de retrouver le reste de ma famille.