« Elijah ? » Seul l’écho de ma propre voix me répondit. Je resserrais aussitôt mes bras contre moi. La salle était plongée dans l’obscurité. Pas un bruit, pas un son. Les larmes aux yeux, j’ouvris la bouche une seconde fois pour appeler mon jumeau, lorsque celui-ci déboula à toute vitesse, me protégeant de son corps. Ce fut plus fort que moi. Je me recroquevillais. Et j’hurlais. J’hurlais alors que la ceinture claquait, inlassablement, que les marmonnements de mon géniteur résonnaient dans notre salle à manger. Et Elijah, qui, lui serrait les dents. Je voyais son visage. Il n’avait pas pu me protéger, et nous payions tous les deux. Pour un crime que nous n’avions pas commis. Je voyais ses yeux, intenses. D’une douleur sans égales, mais d’une colère, qui me terrifiais au-delà de l’imaginable. Frêle gamine que j’étais, je n’ai jamais su me défendre. Elijah le faisait. Pas moi. J’étais faible. J’étais perdue. Dans un monde ou l’humanité perd la tête, ou je n’ai pas de mère, pas de guide, hormis Elijah. Les coups s’arrêtèrent. Il repartit. Nous baignions dans notre sang. A six ans.

J’entends sa voix. Je ne peux juste pas l’atteindre. Je tends les bras, il n’y a que le vide. J’hurle … et j’ouvre les yeux. Elijah est là, blotti contre moi. Endormi. Mon cri ne l’a pas réveillé. Tant mieux. Je n’ai pas envie de lui expliquer ce pourquoi j’ai les yeux écarquillés, le dos en sueur. Je me glisse hors du lit, et vais à la fenêtre. J’observe le monde déchu des humains à travers ma fenêtre. Au-dessus de cette dernière, se trouve le filtreur d’air. Nous n’avons pas besoin de l’utiliser tout le temps, cependant. Nous vivons loin des métropoles polluées. Ca n’a pas toujours été le cas. J’ai aujourd’hui douze ans. Douze ans … et le bras déjà bousillé par la drogue. L’esprit, aussi. Je divague, parfois. J’erre, inconsciente, rêvant de choses qui furent. Ma mère. Je ne vois jamais son visage. Mais elle est là, je le sais. Ici. Je porte ma main à mon cœur. Les bleus sur mon corps commencent tout juste à disparaître. Mais ce n’est qu’un bref moment de sursis. On est pas des gosses de militaire pour rien. Si mon connard de père est ce qu’il est, c’est aussi un sacré imbécile. Apprendre aux enfants qu’il maltraite comment armer une arme, comment tirer à l’arc, comment se battre à mains nues … A seize ans, je suis capable de surpasser la majorité des soldats de la petite ville ou nous nous situons. Mais si son apprentissage m’a grandement endurcie, il n’est toujours pas mon père. Mon cœur crie vengeance, et je sais que celui d’Elijah résonne du même écho. Il ne peut vivre et ne pas payer pour ce qu’il nous as fait, pour ce qu’il nous fait. Nous brûlons d’une colère vivace.

L’arc encoché, après avoir jeté un regard tacite à Elijah, je fait volte face. Deux arc pointés sur lui, deux flèches meurtrières. Mon père hausse les sourcils, balance un « vous en serez pas capables, crevettes. » Ma main tremble. De colère. Au moment ou mes doigts s’ouvrent, ceux de mon jumeau font de même. Les flèches filent, et percent la chair. Il s’effondre, touché par deux traits en plein cœur. J’aurais aimé le faire souffrir comme il nous as fait souffrir, mais c’est inutile. L’air ahuri qu’il possèdera à jamais me suffit. Je décampe d’ici. Je lâche l’arc. Je n’ai, désormais, plus qu’une attache, Elijah, et, d’un commun accord cependant, nous décidons de partir chacun de notre côté. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de lui durant ces quelques années. Pour ma part, j’ai intégré l’armée, ou j’ai tout de suite été remarquée pour mon attitude exemplaire, toutefois nuancée par certains manquements aux ordres, mais qui ont toujours su se tourner en faveur de ceux que je servais. Lorsque l’on m’a parlé de Terra Nova, je n’y croyais pas. Elijah m’a recontacté à ce moment-là ; lui avait été recruté, et sa famille devait venir avec lui. J’étais sa famille. Nous avons quitté 2149 pour Terra Nova.

Ce ne fut pas une chose simple. Mon sevrage fut difficile. Je n’avais pas arrêté la drogue … et voilà que je me retrouvais en milieu sauvage, ou ces substances n’existaient pas. Pendant des jours entiers, j’ai oscillé entre illusions et réalité, jusqu’à ce que les médecins finissent par me prescrire des médicament à base d’herbes, qui me calmèrent enfin. Et me permirent de nettoyer mon organisme, et de purifier mon esprit. Ca n’aurait pas été possible, en 2149. J’ai intégré l’armée de Terra Nova, et il n’a pas fallu longtemps pour que j’y sois reconnue, au même titre que mon jumeau. Mais, regardons les choses en face, j’suis qu’une gamine brisée. J’ai tué mon père.