« Des années sans affection ni tendresse, ça ne se rattrape pas. On n'a plus le mode d'emploi pour s'aimer. »

Je ne vais pas y aller par quatre chemins, je suis le pur produit d'un accident, le troisième enfant non désiré d'une famille sans histoire. L'enfant maudit, celui dont on ne sait pas quoi faire, celui qui provoque la crainte du contrôle de police, c'est moi. Charlotte, c'est mon prénom, un hommage aux origines françaises de ma mère. Mon deuxième prénom, c'est Hope, ça veut dire espoir... l'espoir de quoi ? Je me pose encore la question. Je crois juste que mes parents pensaient que me nommer ainsi me porterait peut être un peu chance ou, tout simplement, ils ont voulu me donner un joli deuxième prénom avec une signification si forte juste pour se donner bonne conscience, se donner l'impression d'être un peu des parents pour moi. « Ça devient trop dangereux, on ne peut plus la garder avec nous. », le nombre de fois que j'ai entendu cette phrase au cours de mon enfance, et à chaque fois que l'un de mes parents la prononçait je me refermais un peu plus et ils m'enfermaient un peu plus. J'ai passé la plupart de mon enfance dans un espèce de placard sentant le chien mouillé, même quand ce n'était pas nécessaire, mes parents avaient tellement la trouille qu'ils pensaient qu'il valait mieux prévenir que guérir. Alors j'étais là, je passais mes journées à lire, à m'instruire, j'entendais mon frère et ma sœur s'amuser pendant que moi j'avais juste ma tête pour m'évader. Et un jour, la goutte d'eau qui fait déborder le vase, j'avais neuf ans, et lors d'une fouille, ils étaient plus près de me découvrir que d'habitude, une fois que les policiers sont partis, ma mère a pété les plombs et son habituel, « Ça devient trop dangereux, on ne peut plus la garder avec nous. », prenait une toute autre dimension. Ils m'ont jeté dehors, purement et simplement, ils m'ont balancé dans l'atmosphère pollué comme un gamin qui se débarrasse d'un jouet cassé. J'avais seulement neuf ans et j'étais terrifiée, je ne connaissais rien du monde extérieur, je ne connaissais que ce que j'avais emmagasiné en lisant des bouquins. C'était un monde totalement austère qui s'offrait à moi et paradoxalement il me paraissait remplit d'une liberté qui m'était inconnue jusque là. Heureusement pour moi, j'ai toujours été débrouillarde et d'une intelligence certaine. C'est surement ce qui m'a sauvé, ça et la rencontre d'une vieille femme dans la rue, Marla. Ah Marla, je pense que c'est la grand mère que tout le monde révérait d'avoir, bienveillante et généreuse bien qu'elle n'ait plus rien. Elle m'a vu pleurer à chaudes larmes sur un trottoir et m'a immédiatement prise sous son aile. Je me rappelle encore son visage outré lorsque je lui ai expliqué pourquoi j'étais à la rue. Je crois qu'elle aurait été prête à débarquer chez mes géniteurs et à faire un massacre. La rue, ça forge un caractère, on a pas intérêt à se laisser marcher sur les pieds et il faut lutter chaque jour pour survivre, j'ai survécu deux ans comme ça, avec Marla. Mais elle était âgée et fatiguée, un matin, je me suis réveillée et elle n'était plus, juste comme ça, un cadavre froid sur un trottoir pourri. Je crois que j'ai encore plus pleuré ce jour là que celui où mes parents m'avaient foutue dehors, je venais de perdre ce qui se rapprochait le plus d'un univers familial pour moi. Qu'est ce que je pouvais bien faire du haut de mes onze ans ? J'ai continué à vivre dans la rue quelques temps, seule, jusqu'à ce que je me fasse choper pour vol de nourriture dans un magasin, je me suis vraiment fait avoir comme une débutante, mais si ça n'était pas arrivé alors j ne sais pas ce que je serais devenue.

« Personne ne me fera souffrir. Jamais un homme ne me verra pleurer. Je refuse le chagrin, la douleur, le doute, la jalousie, l'attente qui ronge, les yeux bouffis, le teint jaune de l'amoureuse dévorée par le soupçon, l'abandon... »

« Mademoiselle nous allons vous envoyer dans une famille d'accueil puisque vous ne voulez pas nous dire qui sont vos parents. », « Je vous ai dit que je n'avais pas de parents. ». Une vraie petite effrontée. Aussitôt dit, aussitôt fait, j'ai été placé auprès d'un couple charmant qui n'arrivait pas à avoir d'enfants. Malheureusement, ils étaient tombés sur moi, je n'avais rien d'une petite princesse et je n'avais surtout pas envie que l'on me traite comme telle. Des années que j'étais rejetée de toutes parts, ça ne se guérit pas comme ça. Le résultat était que dès qu'ils essayaient de me faire un cadeau, j'avais l'impression qu'ils voulaient m'acheter, j'étais toujours suspicieuse à leur égard. Les pauvres avaient toujours rêvés d'un enfant auquel ils pourraient donner tout leur amour et ils m'ont eu moi, la gamine qui se révélait totalement anti-sociale. Sortez pas les mouchoirs tout de suite, je sais que jusque là ma vie paraît misérable, mais grâce à tout ça, j'ai pu aller à l'école et ça ça a été une véritable révélation pour moi. Apprendre encore et encore, comme lorsque j'étais dans mon placard je dévorais les livres, Mes professeurs étaient impressionnés par ce que j'étais capable d'ingurgiter et surtout, par ce que j'étais capable de mémoriser. Je n'avais jamais été à l'école et j'étais déjà au dessus de mes camarades (soit dit en passant, se révéler être un petit génie n'est pas un facteur de socialisation.). C'est comme ça que j'ai gravis les échelons, que j'ai passé le temps. J'ai étudié, c'était une façon comme une autre de tuer l'ennui, j'ai appris tout ce que je pouvais, j'ai suivi mes études de médecines avec brio et me suis aussitôt lancée dans la recherche médicale. Et oui, je suis un petit rat de laboratoire. La recherche m'évite d'avoir trop de contacts avec les autres gens, je sais que dire ça comme ça, ça fait grosse anti-sociale mais j'ai du mal à briller en société. La solitude n'est pas un sentiment qui me pèse, au contraire, je m'y complets.

« Elle a appris à vivre seule, sans rien attendre des autres, et transforme tout ce qui pourrait ressembler à de l'amour en amitié complice et pleine d'humour. L'humour la protège et écarte ceux qui se retrouvent romantiques et pressants. Quand on lui dit " je t'aime" elle éclate de rire et regarde autour pour voir à qui ça s'adresse .»

« Vous avez été recrutée pour aller à Terra Nova. » , « Pardon ? C'est une blague ? », allez elle est où la caméra ? « Mademoiselle Prescott, ceci n'a rien d'une blague, vous êtes l'une des meilleures dans votre domaine et nous avons besoin de vous là bas. », j'étais restée interdite, mon cerveau s'était mis en ébullition suite à cette proposition, c'était une sacré opportunité de partir à Terra Nova et ça me donnerait l'occasion de repartir à zéro. « Je vous laisse jusqu'à ce soir pour vous décider. » « Pas la peine, je suis d'accord !». J'étais rentrée chez moi avec l'esprit léger et ce pour la première fois depuis bien longtemps. Je m'étais empressée de raconter ça à l'homme qui partageait ma vie depuis maintenant 2 ans, Aaron. J'étais surexcitée et lui aussi visiblement, « C'est génial ! On va pouvoir faire notre vie là bas !» , j'avais froncé les sourcils, « On ? » . Ah oui, j'ai oublié de préciser, cela faisait deux ans que nous étions ensemble mais je ne l'aimais pas, nous nous entendions bien ce n'était pas le problème, je l'appréciais mais c'était tout. Je n'ai jamais connu quoi que ce soit qui s'apparente de près ou de loin à de l'amour, je ne suis pas prête à faire céder ma carapace, malgré les années passées, je continus à me protéger du mieux que je le peux. Son sang eut l'air de ne faire qu'un tour, « Et bien oui, on... tous les deux quoi... » , « Tu sais, il me l'ont proposé à moi mais je ne suis pas sure que tu puisses venir. » . « Tu ne veux pas que je vienne c'est ça ? » , « Non, c'est pas ça, c'est juste que je ne pense pas que tu puisses y aller, on est pas marié ou quoi que ce soit du genre...» , « Epouse moi alors... » , la réponse ne s'était pas faite attendre, « Non.» Il s'en était suivi la dispute du siècle, je vous en épargnerais les détails parce que ce n'était pas beau à voir. En tout cas, Aaron et moi nous sommes séparés sur le champ. Il a compris que je ne l'aimais pas, qu'au final il était juste un pote avec qui je m'entendais particulièrement bien et que contrairement à lui, je n'arrivais pas à imaginer l'avenir. Je n'y peux rien, j'ai du mal à me projeter, je ne sais déjà pas ce que je vais faire la semaine prochaine alors envisager l'avenir avec quelqu'un, un mariage, faut pas trop m'en demander non plus. C'est donc seule que je suis arrivée sur Terra Nova, avec le cinquième pèlerinage. La nature ici est éblouissante. J'ai toujours été curieuse alors je m'émerveille devant la moindre petite chose. Maintenant, cela fait quelques mois que je suis arrivée et j'ai toujours un peu de mal à m'y habituer. Le changement est désorientant, mais la recherche médicale est totalement excitante. La perspective de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux moyens de soigner des gens m'emballe intellectuellement. Et oui ... Petit rat de labo...