« Bonjour Klaus ! »

Le petit garçon hocha du menton en guise de réponse à celui qui lui faisait face. Son silence fit froncer les sourcils de l’adulte qui sortit son calepin et commença à noter. Klaus savait pourquoi il était ici … Ses parents avaient déjà planifié de le faire suivre par un psychologue dès sa plus tendre enfance, aujourd’hui, ils avaient décidé de concrétiser l’idée. Pourquoi ? Parce que leur fils méritait le plus bel avenir possible selon eux et que consulter un psy ne pourrait que l’aider à se sentir mieux. Et aussi peut-être parce qu’il avait été traumatisé par un accident de voiture à l’âge de cinq ans mais ça … C’était classé « secret familial » donc personne n’avait le droit de l’évoquer en dehors des séances. Klaus vit l’homme lui faire glisser un bloc de feuille et un crayon, ensuite le psychologue lui demanda d’une voix à la fois posée et autoritaire :

« Pourrais-tu me dessiner ta famille ? »

Klaus prit le crayon et descendit du fauteuil pour s’agenouiller près de la table, il entreprit alors de faire un dessin de ses proches. À son âge, jamais il n’aurait pu imaginer que selon l’emplacement de son soleil, la grandeur du bonhomme qu’il avait dessiné comme étant son père où les couleurs employées, le psy saurait en tirer des conclusions. Klaus rendit donc fièrement son chef d’œuvre à l’adulte qui le remercia. Le garçon reprit sa place dans le fauteuil, il venait à peine de se rasseoir quand la question fatidique sortit de la bouche de l’individu en face de lui.

« Te souviens-tu de l’accident ? »

Sa vision était floue, il sentait un liquide chaude couler de sa joue et goutter vers le sol. Soudain, il redressa la main et vit qu’elle était couverte de sang … Ce liquide rouge qui, hors du corps, était mauvais signe. Klaus tourna la tête, complètement paniqué. Le véhicule avait détruit la barrière de la route et avait foncé dans le décor, après avoir fait un violent tonneau, la voiture s’était lamentablement échouée contre un tronc d’arbre. Le petit garçon aperçut les cheveux de sa maman, le sang se mêlait à ceux-ci et Klaus ne retint pas un hurlement de terreur. Le petit garçon secoua fortement son papa, espérant que celui-ci ne se réveille. La seule réaction que le corps inanimé de son père eut fut de tomber droit sur le volant, tête la première. Son torse appuya contre le klaxon et le son agaçant retentit alors aux alentours. Bientôt, une foule s’amassa autour de la voiture et tout le monde put voir le petit Klaus, les joues rougies par les larmes et le liquide vital.

« Klaus ? »

Il était de retour dans la pièce du psychologue, son regard se porta vers l’homme en face de lui et le petit garçon se contenta d’un hochement de tête négatif pour répondre à la question de l’individu. Le psy nota quelques lignes puis tendit à nouveau le bloc de papier vers Klaus, cette fois il n’eut pas besoin de formuler sa demande … Il voulait que le garçonnet dessine l’accident. L’enfant leva un regard paniqué vers l’adulte, devait-il vraiment le faire ? Était-il obligé ? Le psychologue acquiesça d’un hochement de tête comme pour répondre à la question informulée de Klaus. Le petit garçon sauta sur les pieds, attrapa le bloc et le jeta au visage du psy.

« NON ! »

Klaus courut vers la porte, l’ouvrit habilement et s’enfuit vers la salle d’attente. Il rejoignit les bras sécurisants de son père et entendit derrière lui, le psy débarquer. L’homme n’avait pas l’air furieux de s’être pris un bloc en pleine figure, au contraire, il avait l’air d’avoir compris quelque chose de primordial. Le petit garçon enfuit le visage contre l’épaule de son père et ne releva plus la tête avant d’être dans la voiture, le psychologue était quelqu’un de méchant selon lui et il ne voulait plus y retourner …

2

« Donne la main à ta sœur, nous allons réciter le bénédicité ! »

Sa mère ferma les paupières, tout le monde autour de la table se prenait les mains et ils écoutaient les paroles de la mère de famille. Klaus retira sa main de la paume de sa sœur dès que la prière fut terminée et il fronça les sourcils. Il avait quinze ans et refusait de jouer à ce jeu-là avec eux ! Une paume puissante s’abattit sur l’arrière du crâne de Klaus qui se retourna brusquement, il s’apprêtait à mettre son poing dans le visage de son grand frère quand leur mère intervint en frappant du plat de la main sur la table. Ces deux-là ne pouvaient pas se voir en peinture ! C’était hallucinant à quel point tous les deux pouvaient se haïr, tout en étant frères.

« Morveux ! »

Le plus jeune des deux frères se contenta d’un coup de pied puissant sous la table. L’aîné grimaça un instant puis se concentra sur son steak. Klaus ne savait plus quoi faire pour ennuyer sa famille ! Il avait déjà tout essayé pour sortir de leur petite mascarade. Que croyaient-ils ? Qu’il jouerait – comme son idiot de grand frère – le rôle du fils prodigue ? L’adolescent finit par croiser les bras sur le torse, refusant de toucher à son assiette. Son père finit par lever les yeux, l’observant avec l’air particulièrement mécontent. Qu’allait-il encore leur trouver comme ruse pour leur pourrir la vie cette fois ?

« Je ne mangerai pas ça ! »

Ses parents soupirèrent en même temps, baissant les yeux sur leur propre assiette. Sa mère laissa tomber, faisant un geste rapide de la main pour expliquer que pour sa part, elle abandonnait. Klaus n’avait rien à avoir avec son grand frère ! Nolan était un garçon qui travaillait beaucoup pour réussir, qui pratiquait du sport quotidiennement et qui respectait les volontés de ses parents. Et son contraire était son petit frère ! Klaus ne travaillait pas et pourtant, il avait des notes bien meilleures que son aîné – ce qui ne manquait jamais de faire enrager celui-ci ! Il ne faisait pas de sport, non pas qu’il n’aime pas … Juste que ça serait un prétexte pour ses parents d’être fiers de lui, alors il préférait s’abstenir. Son activité préférée ? Pourrir la vie de sa famille.

« Vous voulez savoir d’où il vient votre steak ? Je vais vous le dire moi … En fait c’est un bœuf qu’ils ont élevé dans le but de … »

« TU CESSES ! »

Sa mère s’était levée de sa chaise, faisant claquer ses talons aiguilles sur le carrelage et frappant à nouveau d’un geste violent la table du plat de la main. Klaus retint une explosion de rire devant le visage de dragon constipé de sa mère. Sa petite sœur, qui avait deviné la suite de l’histoire de Klaus, repoussa du bout des doigts l’assiette devant elle. Elle, elle s’appelait Lysander et c’était bien la seule personne de cette famille pourrie jusqu’à la moelle que Klaus aimait ! C’était sa petite sœur, son petit trésor et quiconque lui faisait du mal devait s’attendre à écoper du poing du grand frère protecteur. La mère fit le tour de la table et vint caresser les cheveux châtains clairs de sa fille, elle se pencha à son oreille et lui murmura des mots réconfortants, tout en rapprochant l’assiette peu à peu.

« Tu ne veux pas manger cela, très bien ! Dans ce cas, bonne nuit Klaus. »

Autrement dit, il devait immédiatement monter dans sa chambre et était privé de sorties, d’ordinateur et de tout ce qui pourrait l’amuser un tant soit peu. Mais au fond, Klaus s’en fichait … Il venait à nouveau de mettre ses parents en colère donc, mission réussie !

3

« Non merci ça ira … »

Klaus était allongé sur le lit d’hôpital, malgré les protestations des infirmières, il avait quand même enfilé ses propres vêtements ! Cette espèce de robe de chambre le faisait mourir de rire … Du moins quand c’étaient les autres qui devait la porter. Quand c’était lui qui devait se balader avec ça sur le dos, c’était une autre paire de manches. Ses parents étaient venus le voir à l’hôpital, leur fils cadet n’était peut-être pas facile à vivre mais … Ils l’aimaient. Sa mère s’approcha du lit et s’empara du bras de Klaus, inconsciemment, elle enfonça les ongles dans la chair de son fils tant la rage l’animait. Son regard se fit meurtrier et elle lui murmura :

« Maintenant tu vas te taire et accepter ce rein ! »

Le jeune homme esquissa un sourire, jusque-là son regard était resté fixé sur la couverture qui le recouvrait. Mais en sentant les ongles de sa mère dans sa peau, la fureur qui traversait chaque parcelle du corps de sa génitrice, son regard noir dans sa direction, Klaus leva les yeux vers elle. Il croisa ces deux yeux noisette qui le fixaient avec fureur et ténacité. Elle n’abandonnerait pas … Même s’il s’entêtait à dire non, même s’il la faisait interdire de visite ! Elle était capable de venir pendant la nuit pour lui greffer elle-même cette saleté de rein. Klaus réfléchit un instant, pesant le pour et le contre. Puis un sourire s’étira sur ses lèvres et il fixa sa mère droit dans les yeux avant de lui répondre :

« Tu peux te le garder ton rein ! »

Son père faillit perdre patience, l’homme était à bout de nerfs … Il s’avança d’un pas, la paume levée en l’air. Oui, il était sur le point de mettre la première gifle de sa vie à Klaus ! Mais là, le jeune homme dépassait les limites. Il en allait de sa survie ! Sans ce rein, il allait forcément mourir et dans très peu de temps … Alors non, ils ne le laisseraient pas faire. Sa mère se retourna un instant, sans doute pour essuyer la larme qui roulait sur sa joue. Ensuite, elle stoppa son mari dans son geste et réalisa qu’elle ne pouvait atteindre personnellement la sensibilité de Klaus. Elle revint vers son fils, un sourire de triomphe aux lèvres.

« Lys ? Viens mon ange, ton grand-frère a très envie de te voir ! »

Le visage de Klaus se décomposa sur place, sa mère venait de marquer le point ultime … Sa petite sœur, c’était son point faible ! Ils ne pouvaient l’atteindre que par le biais de Lysander. La jeune fille, à peine âgée de onze ans, entra dans la pièce. Ses yeux étaient rouges et bouffis tandis que les marques des larmes trônaient encore sur ses joues. Klaus jeta un regard noir à sa mère, qui dans son coin, était satisfaite de son coup. Le jeune homme fit signe à sa sœur d’approcher, elle courut vers lui et se jeta dans ses bras. S’en suivit la pire crise de larmes qu’il ait jamais vu, elle ne parvenait même plus à parler tant ses sanglots étaient violents. Elle pleurait, pleurait et pleurait encore. Klaus s’apprêtait à hurler à ses parents que c’était de leur faute mais avant qu’il ait eu le temps d’ouvrir la bouche, Lys l’attrapa par le bras et attira son attention. Elle se maîtrisa un instant pour balbutier :

« Klaus … Je veux pas que tu meures ! Prends mon rein si tu ne veux pas celui de maman, le docteur a dit qu’on était compatible … Klaus, ne me laisse pas ! »

Jeu, set et match … Ils avaient gagnés.

4

« Attends c’est une blague ? Non mais tu l’as vu … Il a quel âge, vingt ans ? On dirait un gamin ! Et puis t’as vu son allure … Tu trouves qu’il a l’air d’un scientifique toi ? »

Pour toute réponse, la jeune femme tendit le CV de Klaus au scientifique sceptique. Il put y découvrir les nombreuses expériences du métier du jeune homme qui n’avait pas perdu son temps ! Pour lui, les études c’était du gâteau ! Il avait enchaîné les années et était sorti de l’université brillement récompensé. Major de sa promotion ? Eh bien non … Parce qu’il y avait cette Frida, un vrai cerveau ambulant elle ! Klaus avait travaillé dans un grand laboratoire après obtention de son diplôme en biologie. Aujourd’hui, il avait atterri à Terra Nova. C’était un projet dont il se fichait éperdument au départ mais une raison personnelle et familiale l’avait conduit ici. C’est pourquoi, il se retrouvait dans un labo, les mains dans les poches et la mine ennuyée face à deux scientifiques qui le fixaient d’un air étrange.

« Bon je compte pas rester là à attendre votre approbation ! Votre avis, je m’en fous ! J’ai été recruté pour travailler ici, que ça vous plaise ou que ça vous plaise pas, vous devrez faire avec. Maintenant si vous avez fini de me reluquer, on pourrait peut-être aller explorer les environs de la colonie ? »

Étudier les spécimens de la préhistoire, il fallait bien avouer que c’était tentant ! Klaus avait adoré l’idée mais en réalité, s’il était à Terra Nova, c’était pour éviter de commettre un meurtre. Le jeune homme avait déjà failli être envoyé en prison pour ça … En l’an 2149, Klaus avait été démonter la tête du fiancé de sa sœur. Pourquoi ? Car celui-ci avait jugé que la demoiselle prenait trop son temps quant à la chasteté et qu’il avait décidé un soir de ne plus attendre le mariage, contre le gré de la demoiselle. Quand Lys avait téléphoné à son frère, en pleurs, Klaus avait débarqué chez eux et …. Ça avait très mal tourné. Du coup, Klaus avait voulu offrir un nouveau départ à sa sœur ! On l’avait recruté pour Terra Nova, il n’avait jamais réellement songé à y aller … Dire coucou aux dinosaures ? Sérieusement … Mais Lysander avait besoin de distance, d’un endroit où elle se sentirait en parfaite sécurité. Ils avaient donc déménagés, étaient passés par cette fameuse faille temporelle et les voilà à la préhistoire ! Nouvelle vie, nouveau départ …